Au moment où l’Irlande s’est massivement prononcée en faveur de la légalisation de l’avortement, qu’en est-il en Australie ?
Curieusement, la réponse dépend de votre lieu de résidence… Le Courrier Australien fait le point.
Un peu d’histoire
Jusqu’à la fin des années 60, l’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse) était considérée comme un acte criminel partout en Australie, et ce en toutes circonstances. Tous les états avaient en effet adopté le Offences Against The Person Act, une législation britannique datant de 1861.
En 1969, le juge Menhennit de la Cour Suprême du Victoria a le premier rendu une décision, connue sous le nom de Menhennit ruling, autorisant l’avortement dans le cas où la grossesse mettrait en danger la santé physique ou mentale de la femme enceinte. Pour la première fois, la loi définissait un cadre dans lequel l’avortement pouvait être légal. Dans les années suivantes, pratiquement tous les états ont légiféré dans ce sens, chacun faisant ensuite évoluer sa législation indépendamment.
Malgré la pression des mouvements féministes dans les années 70, tels que le Woman’s Abortion Action Campaign (une émanation du Woman’s Liberation Movement), l’avortement a néanmoins continué à être considéré comme un crime aux yeux de la loi pendant plusieurs décennies. En 2008, le Victoria a été le premier état à le décriminaliser. Il a, en outre, légalisé l’IVG sans condition : une femme souhaitant interrompre sa grossesse n’avait plus besoin de faire valider sa décision par un avis médical.
L’introduction tardive de l’IVG médicamenteuse
Jusque dans les années 2000, la seule solution pour interrompre une grossesse en Australie était chirurgicale. L’avortement médicamenteux n’a été autorisé qu’en 2006 — soit 16 ans après la France.
Cependant, dans les années qui ont suivi, l’importation de la principale molécule en Australie, la mifépristone (mieux connue sous la dénomination RU486) était pratiquement impossible du fait d’une législation très contraignante. Ce n’est qu’en 2013 que la RU486 a pu être importée facilement et remboursée, rendant de ce fait l’avortement médicamenteux accessible. L’IVG médicamenteuse est autorisée jusqu’à 9 semaines d’aménorrhée*. Cependant, selon les états, l’IVG médicamenteuse doit parfois être impérativement pratiquée par des centres médicaux agréés, ce qui empêche la prescription par un médecin généraliste et limite de ce fait son accès, notamment en milieu rural.
Un patchwork de législations
On constate actuellement d’énormes disparités concernant le droit et l’accès à l’avortement sur le territoire australien.
Selon les états, une femme peut, comme c’est le cas en France depuis la loi Veil de 1975, avorter sans justification : c’est le cas dans le Victoria ou en Tasmanie. Ailleurs, il faut encore l’avis d’un, voire deux médecins, attestant que la grossesse représente un danger pour la femme enceinte.
Autre différence majeure : dans certains états comme l’ACT et l’Australie Méridionale, l’IVG médicamenteuse doit impérativement être pratiquée en milieu hospitalier. Ailleurs, il est possible de se faire prescrire les médicaments nécessaires par son médecin généraliste.
Certains états (Victoria, Tasmanie, Territoire du Nord) interdisent l’intervention des opposants à l’IVG dans un rayon de 150m autour des établissements médicaux concernés — une législation qui se rapproche du délit d’entrave défini dans le droit français depuis 1993.
Enfin, la période pendant laquelle l’IVG est autorisée varie énormément d’un état à l’autre : jusqu’à 16 semaines d’aménorrhée en Tasmanie, 24 dans le Victoria. En France, une femme peut avorter sans condition jusqu’à 14 semaines d’aménorrhée.
Pour nombre de femmes, cet imbroglio juridique complique leur accès à l’IVG. Certaines doivent faire de longues heures de voiture, qu’il s’agisse de se rendre dans un hôpital ou une clinique, ou même de changer d’état pour contourner la législation locale.
Un crime passible de 10 ans de prison
Mais la disparité la plus flagrante concerne le statut de l’avortement. Celui-ci a été décriminalisé dans la majorité des états. Le dernier à avoir modifié sa loi en ce sens est le Territoire du Nord, l’année dernière. En revanche, en Nouvelle-Galles du Sud et dans le Queensland, l’avortement non autorisé est toujours considéré et puni comme un crime. Une IVG doit être justifiée par avis médical attestant que la grossesse représente un risque sérieux pour la santé physique ou mentale de la femme enceinte. Notons qu’un viol, un inceste ou une anomalie fœtale ne justifient pas un avortement… Une femme interrompant « illégalement » sa grossesse encourt jusqu’à 10 ans de prison.
Dans les faits, les femmes de ces deux états ont tout de même accès à l’IVG grâce au flou législatif qui entoure la notion de « danger pour la santé mentale », derrière laquelle les médecins peuvent se retrancher. Dans les centres urbains, la plupart des femmes n’ont ainsi pas conscience du caractère illégal de l’avortement — cela explique sans doute la difficulté à mobiliser autour de cet aspect législatif. Mais le risque pénal est réel, tant pour celles qui avortent que pour les médecins qui pratiquent les IVG. Ce cadre législatif n’est pas sans conséquence, notamment en milieu rural : les femmes souhaitant avorter y sont souvent stigmatisées ; elles ont également plus de difficulté à trouver un médecin qui accepte de leur prescrire l’IVG qu’elles demandent.
Les opposants à l’IVG dénoncent régulièrement le laxisme dans l’application de la loi, qui devrait protéger l’enfant à naître. Les pro-choice, fervents défenseurs de ce droit, s’en inquiètent : avec l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, ils craignent de voir régresser la législation et souhaitent au plus vite faire décriminaliser l’avortement.
Dans le Queensland, le parlementaire indépendant Rob Pyne a tenté de le faire en mars 2017. Mais 24h avant qu’elle soit soumise au Parlement, il a retiré sa proposition de loi, intitulée « Woman’s Right to Choose ». Sous la pression des mouvements pro-life, le Labor Party avait en effet décidé la veille de ne pas la soutenir et elle n’avait donc aucune chance d’être adoptée.
En Nouvelle-Galles du Sud, quelques semaines plus tard, la parlementaire Green Mehreen Faraqi a à son tour proposé une loi pour décriminaliser l’avortement. Celle-ci a été rejetée à une large majorité. D’après Mme Faraqi, c’est le caractère historiquement très conservateur du Parlement du NSW qui explique ce résultat. Toutes les enquêtes montrent que la grande majorité des Australiens est favorable à la décriminalisation de l’avortement, avec seulement 5% d’entre eux disant souhaiter son interdiction.
L’IVG par téléphone
La fondation Tabbott, dont le nom s’inspire de l’ancien premier ministre Tony Abbott, connu pour son opposition fervente au droit à l’avortement, est le seul service de télémédecine spécialisé dans les IVG. Depuis sa création en septembre 2015, elle permet à des milliers de femmes d’avorter à domicile en toute sécurité.
Sur simple appel téléphonique, la fondation Tabbott fournit une prescription pour un test sanguin et une échographie afin de vérifier l’avancement de la grossesse. Si celle-ci date de moins de 9 semaines, elle expédie par courrier les médicaments nécessaires à l’IVG. Un suivi médical par téléphone, accessible 24h/24, est prévu le jour de l’avortement. Un test sanguin est prescrit une semaine plus tard pour vérifier que l’avortement est complet.
Lorsque la législation locale est restrictive ou floue — comme par exemple dans le Queensland ou en Nouvelle-Galles du Sud — un entretien avec un psychologue est organisé pour juger du caractère légal ou non de l’IVG. Pour les femmes résidant en ACT, où les avortements ne sont possibles qu’à l’hôpital, la fondation Tabbott propose d’expédier les médicaments dans une ville voisine de NSW. Ce service n’est en revanche pas accessible en Australie Méridionale.
Cette possibilité d’avortement « à domicile », destinée spécifiquement aux femmes vivant en milieu rural, loin des grandes villes, nécessite cependant qu’elles résident à moins de deux heures d’un établissement médical… et que leur grossesse ne soit pas trop avancée.
Avortements en Australie : les chiffres
D’après les données officielles de l’Australian Institute of Health and Welfare datant de 2005, environ 80 000 avortements étaient pratiqués chaque année en Australie. Il semblerait que ce chiffre ait baissé et tourne actuellement autour de 65 000 avortements annuels. En France, environ 200 000 femmes interrompent leur grossesse chaque année, soit 13,9 femmes pour 1000 — 13,5 femmes sur 1000 en Australie. Au Royaume-Uni, 17 femmes sur 1000 subissent une IVG chaque année, contre 7 sur 1000 en Allemagne, qui enregistre l’un des taux les plus bas parmi les pays développés.
On estime qu’au cours de sa vie, un quart à un tiers des Australiennes auront recours à l’avortement. En France, un tiers des femmes seront concernées et une grossesse sur cinq sera volontairement interrompue avant son terme.
Une étude de 2017 a révélé que le coût d’une IVG médicamenteuse en Australie est en moyenne de 560 AU$ (après remboursement par le système de santé fédéral) et de 470 AU$ pour une IVG chirurgicale, ceci lorsqu’elle intervient lors du premier trimestre de grossesse. Cependant ces coûts varient énormément selon la région et augmentent très vite lorsque la grossesse est plus avancée. Une femme sur trois affirme avoir rencontré des difficultés financières pour financer son IVG, notamment en zones rurales ou reculées, où s’ajoutent des frais de déplacement.
En France, depuis 2013, la sécurité sociale couvre 100% des frais en cas d’IVG.
Seul point sur lequel la législation française est plus stricte qu’en Australie : la période pendant laquelle l’IVG est autorisée sans avis médical. En France, elle est de 14 semaines d’aménorrhée. On estime que 4000 à 5000 femmes quittent le pays pour avorter au-delà de ce délai légal, se rendant principalement en Espagne ou aux Pays-Bas.
Karine Arguillère
* L’avancement de la grossesse s’exprime en semaines d’aménorrhée, calculées à partir du premier jour des dernières règles — ce qui diffère de l’âge fœtal, l’ovulation et donc la fécondation intervenant approximativement au 14èmejour du cycle.
Sources :
abc.net.au, app.gov.au, lawgovpol.com, childrenbychoice.org.au, abc.com, tandfonline.com, buzzfeed.com, tabbott.com.au, broadly.vice.com, abc.net.au, theaustralian.com
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