Ce mardi débute la première visite officielle du président français Emmanuel Macron en Australie. Celui-ci se rendra exclusivement à Sydney et, à l’instar de la plupart des presque 9 millions de touristes étrangers qui chaque année découvrent le pays, il fera l’impasse sur la capitale australienne, Canberra. De fait, la ville est de taille modeste, dix fois plus petite que les deux mégalopoles que sont Sydney et Melbourne : moins de 400 000 habitants pour la première, contre environ 5 millions pour les deux dernières.
Pourquoi et comment Canberra, petite ville « in the middle of nowhere » comme aiment à la qualifier les Australiens eux-mêmes, a-t-elle été choisie pour accueillir les instances fédérales ? Le Courrier Australien s’est plongé dans les archives et vous dit tout.
Deux capitales potentielles
À la fin du XIXèmesiècle, le territoire australien était divisé en six colonies britanniques totalement indépendantes les unes des autres. Dès les années 1880, l’idée de constituer une fédération commence à germer dans les esprits d’une population désormais en majorité née sur place.
Le choix de la capitale est tout de suite très discuté. Vers 1840, Sydney était la ville la plus importante et déjà un centre administratif important — ce qui en faisait une capitale prédestinée pour la future fédération. Mais la ruée vers l’or dans les années 1860 a changé la donne : quelques décennies plus tard, Melbourne est devenue une ville d’importance comparable à Sydney, tant en termes de population que d’économie. Deux villes rivales qui pouvaient donc chacune revendiquer le statut de capitale…
Avant ce choix nécessaire, il s’agissait de faire valider par la population l’idée d’un destin commun. En 1898, les gouverneurs de quatre des six colonies soumettent donc au vote, par voie de referendum, un premier projet de constitution de la future fédération. Celui-ci remporte la majorité des voix partout, mais sans pouvoir être ratifié en Nouvelle-Galles-du-Sud, du fait que le nombre minimum de 80 000 votants n’a pas été atteint. A la suggestion du gouverneur du NSW, on amende alors le projet, pour le rendre plus acceptable pour cet état. L’une des modifications concerne précisément la capitale : dans la section 125 du nouveau projet de constitution, il est spécifié que la capitale fédérale devra être sise en Nouvelle-Galles-du-Sud — mais à une distance d’au moins 160km de Sydney. Jusqu’à ce que les travaux soient achevés, l’Assemblée parlementaire se réunira à Melbourne, laquelle sera la capitale intérimaire.
Un climat frais pour mieux gouverner
Forts de l’expérience malheureuse de Washington, dont les Britanniques se sont brièvement emparés en 1812, les gouverneurs des colonies décident que la future capitale se situera dans les terres plutôt que sur la côte, pour se prémunir d’éventuels bombardements ou invasions. Ils s’accordent également sur un point : la future capitale devra se situer dans une région moins chaude que Sydney ou Melbourne ; on estime en effet que les températures fraîches se prêtent mieux à l’épanouissement et à la prise de décision de l’homme blanc…
En 1908, après plusieurs voyages de reconnaissance et de longues négociations et alors qu’une petite dizaine de sites sont envisagés — Dalgety, Armidale, Tenterfield, Orange, Barhurst pour n‘en citer que quelques-uns — c’est finalement celui de la future Canberra qui est retenu. Situé entre 500 et 750m d’altitude donc plus frais, à 280km de Sydney mais accessible par une ligne de chemin de fer, le site choisi coche toutes les cases. Dès 1909, conformément à la Constitution de la toute jeune Fédération d’Australie, le NSW cède gratuitement 2350 km2au gouvernement fédéral pour créer l’Australian Capital Territory (initialement le Federal Capital Territory, ndlr). Précision importante : une capitale ne s’entend qu’avec un accès à la mer, aussi l’état du NSW cède-t-il également la petite enclave de Jervis Bay. A ce jour, cette zone située sur la côte de Nouvelle-Galles-du-Sud ne fait donc pas partie de cet état… ni tout à fait de l’ACT même si la plupart de ses lois s’y appliquent !
Moyla, Shakespeare ou… Sydmeladperbriho ?
Sur les terres cédées par le NSW au gouvernement fédéral habitent à peine 2000 colons britanniques. Installés depuis 1824, la plupart vivent en habitat dispersé dans des fermes d’élevage de mouton. Le site porte néanmoins de nombreuses traces d’une occupation aborigène remontant à plus de 20 000 ans, notamment le peuple Ngunnawal.
Une fois sa localisation fixée, il restait à trouver un nom pour la future capitale fédérale. Les propositions affluent de toutes parts : pas moins de 764 sont enregistrées, allant des plus simples aux plus farfelues. Pour le plaisir, en voici quelques-unes : ‘Eucalypta,’ ‘Kangaremu’, ‘Eros’, ‘Thirstyville’, ‘Cookaburra’ ou encore l’imprononçable ‘Sydmeladperbriho’.
Deux noms ont bien failli l’emporter : Moyla et Shakespeare. C’est finalement Canberra qui est choisi, en partie parce qu’il est déjà utilisé localement. Quant à son origine, elle reste relativement mystérieuse ; la version la plus reprise est qu’il résulte d’un amalgame entre Canberry, du nom d’une propriété de colon établie sur le site, et le mot aborigène Kambera signifiant ‘lieu de rencontre’. Une autre hypothèse est qu’il provient du mot aborigène Ngambra signifiant ‘les seins’, qui était utilisé pour désigner les deux montagnes qui encadrent la ville, Black Mountain et Mount Ainslie.
Le 12 mars 1913*, 500 invités, 700 militaires et plus de 3000 résidents locaux se pressent sur Capital Hill à la cérémonie de baptême de la future capitale. Le nom choisi de Canberra y est officiellement dévoilé par Lady Dunman, la femme du gouverneur général, et l’histoire peut commencer. C’est à cette même occasion que la première pierre de la ville est posée.
Une « cité-jardin » au plan géométrique
Restait alors à construire une ville digne d’accueillir toutes les nouvelles institutions. Un concours d’architecture international est lancé et parmi les 130 dossiers reçus, c’est le projet de deux Américains de Chicago, Walter et Marion Burley Griffin, qui est retenu. Leur vision est celle d’une ville humaine, aérée, une « cité-jardin » intégrant de nombreux espaces naturels. La pièce centrale du plan est un lac artificiel entouré de végétation, qui traverse la ville d’est en ouest. Le plan s’organise ensuite en formes géométriques concentriques, les rues formant des triangles, hexagones et octogones centrés sur des axes sur lesquels les bâtiments fédéraux devront être alignés.
Le chantier de construction, confié à Walter Burley Griffin, avance d’abord difficilement du fait de désaccords avec les autorités australiennes puis du déclenchement de la Première Guerre mondiale. En 1921, l’architecte est remercié. S’ensuit la Grande Dépression, puis la Seconde Guerre mondiale : les travaux piétinent. Après 1945, Canberra est comparée à un village aux constructions désordonnées, bien loin de l’idée grandiose que se faisaient les Australiens de leur capitale. Une honte pour le Premier ministre de l’époque, Robert Menzies, qui est déterminé à relancer ce grand chantier. Sous son égide, la ville grossit rapidement : entre 1955 et 1975, la population de Canberra augmente de 50% tous les 5 ans.
Un Parlement provisoire… pendant plus de 60 ans.
C’est en 1927 que Canberra devient officiellement le siège du gouvernement, lors de l’inauguration officielle du Parlement provisoire — aujourd’hui plus connu sous le nom de Old Parliament House. En effet, il avait été décidé qu’un Parlement serait édifié pour 50 ans avant d’être remplacé par un autre bâtiment, plus définitif. Finalement, le Parlement provisoire aura été utilisé pendant plus de 60 ans : c’est seulement en 1988 que les parlementaires déménagent dans le nouveau Parliament House. Les autorités ont en effet longuement hésité à lancer sa construction, pour des questions budgétaires. On les comprend : lors de son inauguration en grande pompe par la Reine Elisabeth II, il s’agit du bâtiment officiel le plus coûteux de l’hémisphère sud. Mais cette fois, il a été conçu pour durer 200 ans ! Sa construction aura nécessité 300 000 m3 de béton (25 fois plus que pour l’opéra de Sydney). Il est surmonté d’un mât de 220 tonnes en acier inoxydable : 81 mètres de haut au bout duquel flotte fièrement le drapeau australien.
A l’origine, l’ancien Parlement devait être démoli pour dégager une perspective ininterrompue depuis le nouveau bâtiment jusqu’au mémorial australien de la guerre. Mais la population s’y est opposée et le Old Parliament House a été conservé. Transformé en musée de la démocratie australienne, il se découvre librement et gratuitement, ou en visites guidées : l’occasion de parcourir les débuts — pas si lointains — de l’histoire politique australienne.
*Chaque année, le deuxième lundi de mars, une marche commémore le baptême de la ville lors du ‘Canberra Day’.
Karine Arguillère
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