Le débat autour du drapeau national refait périodiquement surface en Australie. C’est principalement la présence de l’Union Jack qui dérange : les partisans d’un changement de drapeau — environ un tiers des Australiens selon un sondage de 2010 — considèrent que celui-ci n’est pas représentatif du caractère indépendant et multiculturel de l’Australie.
Certains souhaiteraient ainsi le voir remplacer par l’Eureka flag : une croix blanche assortie de cinq étoiles à huit branches, sur un fond bleu. Pourtant, l’Ausflag, association qui milite activement en faveur d’un nouveau drapeau national, y est totalement opposée.
Quelle est l’origine du drapeau Eureka et pourquoi suscite-t-il, selon les cas, engouement ou rejet ? Le Courrier Australien a voulu en savoir plus.
La ruée vers l’or
Le drapeau Eureka est en réalité bien plus ancien que le drapeau australien actuel, qui a été créé en 1901 sur concours et définitivement adopté en 1954. C’est un siècle plus tôt, en 1854, que le drapeau bleu et blanc apparaît pour la première fois, à l’occasion d’un événement historique connu de tous les Australiens : l’Eureka Stockade (littéralement palissade Eureka).
Resituons le contexte : dès 1851, de nombreux mineurs en provenance du monde entier affluent dans le Victoria. La nouvelle s’est en effet répandue comme une traînée de poudre : il y a de l’or dans les terres et les rivières autour de Ballarat.
Ces prospecteurs, en quête d’une fortune facile, ont cependant la vie dure. Mal logés, manquant des denrées les plus élémentaires, ils travaillent sans relâche. Ils doivent, en outre, payer chaque mois une forte somme pour leur « miner’s license » : un permis de concession les autorisant à fouiller à peine quatre mètres carrés de terre dans l’espoir d’y trouver le précieux métal. Le harcèlement que subissent les mineurs de la part des autorités locales et le prix jugé exorbitant des permis de concession finissent par nourrir un sentiment d’injustice qui éclatera au grand jour à la faveur d’un incident tragique et sur fond de rumeurs de corruption.
Le 30 novembre 1854, 1500 mineurs de Ballarat entrent en rébellion. Rejetant l’autorité des forces coloniales, ils déchirent leur permis de concession et prêtent serment à un nouveau drapeau, qui deviendra plus tard le drapeau Eureka.
La naissance d’un drapeau
On raconte que c’est un mineur canadien, le « Lieutenant » Ross, qui l’aurait conçu. Il se serait inspiré de l’Australian Federation Flag, créé en 1831 pour remplacer l’Union Flag, drapeau de l’empire britannique.
Le drapeau Eureka flotte pour la première fois sur les barricades d’Eureka (les fameuses ‘palissades’) érigées par les mineurs rebelles. Les journaux de l’époque le rebaptisent immédiatement le « drapeau australien de l’indépendance » ou le « drapeau de la Croix du Sud ».
Dans Flag of Stars, Franck Cayley explique que le fond bleu du drapeau fait référence à la couleur des chemises portées par les mineurs. Ses cinq étoiles représentent la Croix du Sud, une constellation uniquement visible dans le ciel de l’hémisphère sud — utilisée depuis les années 20 pour figurer la place de l’Australie dans le monde. La croix celtique blanche est, quant à elle, l’expression de l’unité dans la révolte. Le nouveau drapeau, dépourvu de l’Union Jack, exprime également le refus de la soumission aux forces coloniales britanniques.
Eureka Stockade, berceau de la démocratie australienne
La révolte d’Eureka est vite matée : il n’aura fallu que quinze minutes aux forces coloniales pour écraser la rébellion, dans un assaut qui fait 27 victimes.
Pourtant, ses conséquences sont déterminantes pour la suite de l’histoire du pays. En effet, l’opinion publique a été très choquée du traitement réservé aux mineurs. C’est elle qui parvient à faire plier les autorités deux ans plus tard, lors du procès des meneurs de la révolte. Non seulement ces derniers sont acquittés, mais leurs demandes sont entendues. Les permis de concession sont supprimés et remplacés par une faible taxe. Et le 13 mars 1856, le droit de vote est accordé par le parlement du Victoria à tous les hommes de plus de 21 ans : c’est l’Electoral Act.
Voilà pourquoi la révolte de l’Eureka Stockade est souvent considérée comme l’origine de la démocratie australienne. Cet épisode est même parfois rapproché de la révolution française : c’est en effet la première et seule révolution armée de toute l’histoire australienne.
Le drapeau Eureka n’a jamais eu de reconnaissance officielle. Au fil des ans et selon les circonstances, il a été utilisé comme un symbole de protestation pour toutes sortes de causes. Les partis situés aux deux extrêmes de l’échiquier politique l’ont notamment repris à leur compte. En 2016 par exemple, Australia First avait envisagé de le faire figurer sur ses bulletins de vote —ce qui avait déclenché un tollé.
Symbole de la lutte pour la défense des droits des travailleurs
« Nous jurons sur la Croix du Sud de nous soutenir mutuellement et de nous battre pour défendre nos droits et libertés » : tels sont les mots prononcés par les mineurs sur le drapeau Eureka, à la veille de la révolte d’Eureka.
On comprend aisément que le syndicalisme ait récupéré ce message de solidarité et de lutte pour la défense des droits des travailleurs. Ainsi, le drapeau Eureka ou certains de ses éléments ont été repris dans les logos de plusieurs organisations syndicales depuis les années 60. La Croix du Sud figure, par exemple, sur le blason de l’Australian Workers Union, l’un des plus anciens et plus gros syndicats en Australie.
Dans une directive récente, l’Australian Building and Construction Commission a interdit tout affichage de logos et slogans de syndicats, spécifiant que cela incluait les éléments du drapeau Eureka. Là encore, cette décision, interprétée comme une volonté politique d’achever un syndicalisme déjà bien affaibli en Australie, a déclenché une vive polémique.
Malgré les nombreuses récupérations dont il a fait l’objet, l’Eureka Flag est emblématique de l’identité australienne ; les Australiens y sont très attachés. Ce qu’il reste du premier drapeau est d’ailleurs conservé comme une relique sacrée au musée de la citoyenneté australienne de Ballarat.
Et à Melbourne, la plus haute tour de la ville a été baptisée Eureka. En haut de celle-ci, on peut voir un pan doré, symbole du métal précieux qui a fait la fortune du Victoria, et un long rectangle rouge : le rappel du sang versé lors de la révolte des mineurs de Ballarat.
Karine Arguillère
A portée d’enfants : l’histoire de la révolte d’Eurêka est racontée à Sovereign Hill dans un spectacle son et lumière très réussi. Pour en savoir plus, cliquez ici.
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