Dans sa tranquille banlieue australienne, Bou Rachna se rappelle les heures qui ont précédé l’assassinat de son mari, Kem Ley, commentateur politique respecté et grande voix démocrate du Cambodge, abattu en 2016 dans une station-service de Phnom Penh.
Ils avaient pris le petit-déjeuner ensemble, puis il était parti rencontrer des étudiants pour discuter autour d’un café. Peu après, elle recevait un coup de fil l’informant qu’il avait été tué par balles.
« Il n’a jamais rien fait pour lui-même », explique Bou Rachna à l’AFP. « Tout était pour le Cambodge, pour qu’il puisse y avoir la liberté, une vraie démocratie, une justice indépendante et le respect des droits de l’Homme ».
La veuve et ses cinq enfants sont arrivés le mois dernier en Australie, où ils ont obtenu l’asile après s’être cachés pendant plus d’un an en Thaïlande.
Mais le souvenir de la violence est vivace et la famille a reçu des menaces de mort en amont de la visite à Sydney de l’inamovible Premier ministre, Hun Sen. Celui-ci participe ce weekend à un sommet spécial Australie-Asean (Association des nations d’Asie du Sud-Est asiatique).
Human Rights Watch a demandé au gouvernement australien de « ne pas danser avec des dictateurs » durant le sommet, qui sera consacré aux relations économiques et à la coopération antiterroriste.
Canberra a accordé l’asile à la famille de Kem Ley mais a aussi conclu un accord controversé avec le gouvernement de Hun Sen en vue de l’accueil par le Cambodge de réfugiés dont l’Australie ne veut pas, en échange de millions d’euros d’aide.
– ‘Rencontre mortelle’ –
Le gouvernement du Premier ministre australien Malcolm Turnbull a assuré que la question des droits de l’Homme serait soulevée pendant le sommet.
Dans son nouveau domicile de Melbourne, Bou Rachna, elle, est déterminée à parler. Elle est convaincue que son mari a été réduit au silence pour avoir critiqué le régime cambodgien.
Kem Ley, peu connu en dehors du Cambodge, était très populaire dans son pays. Il était critique à la fois du gouvernement et de l’opposition et dénonçait la corruption et l’accaparement des terres qui continuent de miner le pays.
Un ancien soldat au chômage, Oeuth Ang, a été condamné l’année dernière à la perpétuité pour l’assassinat de Kem Ley, invoquant une dette de 3.000 dollars.
Cette condamnation a laissé sceptiques de nombreux observateurs, qui soupçonnent un assassinat politique rappellant les instables années 1990.
« Je ne les ai pas accusés mais le peuple du Cambodge sait qui est le meurtrier derrière Chuob Samlab », dit Bou Rachna, en référence au surnom de l’ancien soldat, qui signifie « rencontre mortelle » en khmer.
Le gouvernement cambodgien dément toute implication dans ce meurtre.
Hun Sen, au pouvoir depuis 33 ans, renforce depuis quelque temps la répression contre la presse, la société civile et l’opposition. Il doit rencontrer M. Turnbull durant son séjour en Australie.
Des élections législatives très controversées sont prévues en juillet 2018 au Cambodge, où le principal parti d’opposition a été dissout, la plupart de ses dirigeants choisissant l’exil.
– ‘Frapper’ les manifestants –
A Sydney, où vivent de nombreux réfugiés cambodgiens ayant fui les Khmers Rouges dans les années 1970, il devrait être confronté à des centaines de manifestants.
Avant le sommet régional, il a menacé de « frapper » les manifestants, selon la presse, suscitant un concert de protestations.
Il a prévenu Canberra qu’il bloquerait la publication du communiqué conjoint qui doit conclure le sommet de l’Asean dimanche s’il y subissait le moindre coup de griffe.
Le ministère australien des Affaires étrangères a déclaré avoir clairement fait savoir à la partie cambodgienne que « l’Australie soutient la liberté d’expression et le droit de manifester, et que les menaces de violences sur le sol australienne sont pas acceptables ».
Phnom Penh assure que Canberra a sorti les propos de son Premier ministre de leur contexte.
Bou Rachna a l’intention de se joindre aux protestataires mais elle n’a « guère d’espoir d’obtenir justice » pour son mari. Elle craint de ne jamais pouvoir retourner au Cambodge, « si notre Cambodge ne change pas », dit-elle.
AFP
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