Beaucoup de jeunes voyageurs décrivent le Working Holiday Visa (WHV) comme l’expérience de toute une vie. Ce pass pour une année de césure en Australie, entre vacances et travail, est ouvert à de jeunes individus âgés de 18 à 31 ans, originaires de 19 pays différents – majoritairement d’Europe mais aussi du Japon, de la Corée du Sud et du Canada – et permet de découvrir le temps d’une année l’Australie, ses habitants, sa culture et ses paysages. Généralement conquis par le pays et son cadre de vie, les voyageurs souhaitent postuler pour une seconde année.
Pour que cette opportunité s’offre à eux, les backpackers doivent travailler un minimum de 88 jours, souvent dans des fermes lors de la saison de la récolte des fruits et des vendanges. En effet, le Working Holiday Visa fait partie d’un programme conçu pour répondre à la pénurie de travailleurs locaux. L’afflux de backpackers fournit ainsi, en pleine saison, de la main d’oeuvre aux agriculteurs, et permet aux jeunes de gagner leur vie afin de financer leur voyage. Une manière qui paraît, sur le papier, satisfaire les deux parties.
Cependant, le décès en novembre 2017 d’Olivier Max Caramin, a réouvert le débat sur les conditions de travail de ces jeunes voyageurs. Le jeune Belge travaillait dans une ferme à côté de Townsville depuis seulement trois jours, lorsqu’il s’est effondré au milieu d’un champ sous une forte chaleur. La mort de Caramin s’ajoute à une liste croissante de difficultés rencontrées par les jeunes routards dans les zones rurales d’Australie : conditions de vie déplorables, violation des lois sur la sécurité au travail, exploitation financière, et même harcèlement sexuel.
Prêts à tout pour obtenir leur pass pour une seconde année
Les backpackers qui souhaitent postuler à un second working holiday visa doivent passer par cette étape des 88 jours de travail dans des fermes, en zone rurale. De fait, les jeunes voyageurs sont très vulnérables et les employeurs profitent de la situation.
« La priorité des jeunes qui se rendent dans les fermes est de faire signer leurs documents pour la demande d’un second visa. Afin d’y arriver, ils sont parfois obligés de faire avec des conditions de vie et de travail illégales », explique Shane Roulstone, coordinateur du syndicat Australian Workers’ Union.
Salaires impayés, heures de travail supplémentaires sous 40°C, entassement des routards dans des auberges délabrées avec un nombre insuffisant d’équipements sanitaires. La vie de ces jeunes étrangers venus valider leur premier WHV n’est pas simple. Avec l’arrivée massive de cette nouvelle main d’oeuvre dans les zones rurales, une véritable industrie proposant emplois et hébergements malhonnêtes a vu le jour, extorquant l’argent des backpackers. 170 $ par semaine, payable d’avance, pour un lit dans une chambre avec six autres personnes, 5 à 10 $ par jour pour être conduit à la ferme, achats des outils et du matériel de protection à la charge des travailleurs et, parfois, des frais de recherche d’emploi.
“C’était la vie quotidienne de tous les travailleurs temporaires étrangers que j’ai rencontrés, » racontait en 2016, Sylviannie Pinon, française, aux journalistes de News.com. « Nous sommes restés au même endroit pendant deux semaines, puis nous sommes partis. Mais pendant ces deux semaines, toute une industrie – les agriculteurs et les auberges – gagnaient de l’argent sur notre dos, et ensuite ne semblaient pas être dérangés de nous voir partir : il y avait toujours un flot de jeunes voyageurs naïfs et innocents qui arrivaient pour être exploités.”
Insécurité chronique, due à l’isolement en zone rurale
Pour Katherine Stoner, venue en Australie en WHV en 2015 et réalisatrice du film « 88 Days » , cette situation malsaine va encore plus loin. Les jeunes femmes seraient d’autant plus vulnérables qu’elles doivent faire face à des cas de harcèlement sexuel de la part de leur employeur. La jeune britannique dit avoir elle-même vécu l’expérience avec son amie Elle Kerridge, alors qu’elles n’avaient que 18 ans. « C’était une journée chaude et nous transpirions vraiment en ramassant les pêches. Le fermier est venu nous voir et nous a dit que l’on pouvait travailler nues si on le voulait à cause de la chaleur, il ne reviendrait pas », raconte-t-elle dans son film. « Nous étions plutôt mal à l’aise sur le moment. Puis, à peine cinq minutes plus tard, il est revenu en s’étonnant que nous portions toujours nos vêtements. »
Les deux jeunes femmes ont terminé la cueillette sans incident mais ont ensuite dû endurer des plaisanteries de plus en plus sexistes et faire face à des avances de leur employeur. Elles ont alors réalisé à quel point elles étaient vulnérables, isolées, sans moyen de transport à leur disposition.
Aujourd’hui, Katherine Stoner a décidé, à travers son film, de recueillir les témoignages des jeunes travailleurs étrangers pour mettre la pression sur le gouvernement afin d’apporter des gages de sécurité aux jeunes voyageurs. « Durant mon séjour, j’ai constaté un gros problème dans le système, explique-t-elle. Certains gérants d’exploitations ne vous traitent pas dignement, ils sont vulgaires, sexistes. Il y a des cas de harcèlement sexuel et la situation est tout à fait acceptée. »
Une situation subie et acceptée
Une enquête réalisée par trois universités de Sydney en 2016 sur 4 322 travailleurs saisonniers – incluant backpackers, étudiants et étrangers avec un visa de travail temporaire – a révélé que presque la moitié des sondés avait déclaré avoir été payée un maximum de 15 $ de l’heure, alors que le salaire minimum à cette période était de 21,15 $/h. Le rapport conclut que l’exploitation sur le lieu de travail est «endémique et sévère».
Mais le fait le plus troublant est peut-être la découverte de l’ignorance des jeunes routards concernant leurs droits au travail. Beaucoup d’entre eux pensaient que cette exploitation et ce sous-paiement habituels étaient inhérents au WHV.
Un porte-parole du Department of Jobs and Small Business, rappelle pourtant que les travailleurs temporaires étrangers sont protégés par les mêmes droits et protections fondamentaux que les Australiens, en vertu de la réglementation du travail. Les backpackers peuvent eux aussi déposer plainte auprès du Fair Work Ombudsman (FWO), en charge de veiller au respect des droits et obligations des travailleurs.
Cependant, de nombreuses personnes craignent de déposer plainte afin de défendre leurs droits, par peur de perdre leur emploi et ainsi leur pass pour une seconde année en Australie. De plus, les quelques courageux à sauter le pas font face aux limites du système. Les enquêtes menées par la police ou le FWO aboutissent difficilement en raison de la nature transitoire des travailleurs et du manque de preuves apportées.
Le Fair Work Ombudsman a récemment accru les amendes pour infractions aux lois sur le droit du travail et développe activement un programme de sensibilisation des jeunes voyageurs afin qu’ils connaissent leurs droits. » Nous voulons que tous ceux qui viennent travailler dans une ferme australienne aient l’opportunité de vivre une expérience formidable. C’est cette expérience qui les accompagne, qui est partagée avec leurs amis et qui crée de nouveaux liens dans les années à venir. Nous ne soutenons pas l’exploitation des travailleurs, et nous ne le ferons jamais », conclut un porte-parole du FWO.
Si vous rencontrez des difficultés et que vous souhaitez avoir des informations en français, l’organisation French Assist peut vous conseiller.
N’oubliez pas de nous suivre sur Facebook et Instagram, et de vous abonner gratuitement à notre newsletter.
Des idées, des commentaires ? Une coquille ou une inexactitude dans l’article ? Contactez-nous à redaction@lecourrieraustralien.com
Discussion à ce sujet post