Michel-Henri Carriol est de ces personnalités qu’on n’oublie pas. Né en France, il est arrivé en Australie en 1966. Lui qui pensait y rester quelques mois n’a jamais quitté sa “patrie d’adoption”, comme il l’appelle. Depuis plus de 50 ans, il est sur tous les fronts. D’abord diplomate, puis chef d’entreprises, il a renforcé l’amitié Franco-Australienne, et a été nommé lundi Member of the Order of Australia, prestigieuse récompense qui distingue les citoyens méritants. Il évoque avec nous son parcours hors du commun.
Vous êtes né et avez fait vos études à Paris, comment êtes-vous arrivé à Sydney ?
Mes parents étaient diplomates. J’ai donc vécu très jeune hors de France, notamment en Allemagne, en Belgique, et en Libye. J’ai intégré Sciences Po, et je suis arrivé à Sydney en 1966 en tant qu’attaché commercial à l’Ambassade de France, muni d’un passeport diplomatique. Je devais passer dix mois en Australie, avant d’intégrer l’ENA à la rentrée. Mes plans ont donc légèrement changé !
J’ai rencontré une jeune Australienne, et après près d’un an à Sydney, j’ai décidé de quitter l’administration, d’annuler mon admission à l’ENA, et de rester en Australie pour me lancer dans le commerce. Je suis aujourd’hui marié avec cette même Australienne, et nous avons deux enfants et deux petits enfants.
Quelles étaient les relations entre la France et l’Australie à votre arrivée ?
Les relations Franco-Australiennes étaient très peu développées dans les années 1960. L’Australie avait quelques contacts avec la Nouvelle-Calédonie. Les relations commerciales étaient limitées en raison des droits de douane et des quotas établis par l’Australie. La France avait tout de même vendu des avions de chasse à l’armée australienne.
Lors de mes cinq années passées à l’Ambassade de France, j’ai rencontré et été en contact avec des représentants de centaines de sociétés françaises intéressées par le marché australien.
Je suis fier de pouvoir dire que les vitres de l’Opéra de Sydney sont françaises en partie grâce à moi ! C’était mon plus gros marché lors de mon passage à l’Ambassade. Un des trois plus grands fabricants au monde de verre plat était français. Nous étions en concurrence avec un Anglais et un Américain. Il fallait produire des vitres triplexes, constitué d’une vitre blanche à l’extérieur pour refléter la lumière, et une vitre légèrement teintée à l’intérieur pour ne pas éblouir les visiteurs. Dans la vie, comme on dit ici, “it’s not what you know, it’s who you know.” J’ai fait en sorte qu’un des jeunes architectes qui travaillait sur le site soit envoyé en France pour se perfectionner et apprendre le français. Quand il est rentré, j’avais donc un contact dans le groupe d’architectes de l’Opéra, et lorsque le cahier des charges a été réalisé, nous avons eu quelques informations sur le projet pour préparer notre proposition.
Après plusieurs années dans la diplomatie, vous vous êtes dirigé vers le commerce…
Après avoir aidé bon nombre de sociétés françaises à pénétrer le marché australien, j’ai pris la décision de me contenter de quelques unes, mais de m’y investir à temps plein. J’ai commencé en tant que représentant de la Société Générale et de Dior, un pied dans la finance, l’autre dans la mode. Il y avait un long chemin à faire. Gardez en tête qu’à l’époque, au téléphone quand je mentionnais Dior, on me répondait “Dior ? How do you spell it ?”
J’ai par la suite choisi de me consacrer à l’import export de produits de mode, de beauté, de soin et de spiritueux français. J’ai donc fondé Trimex, une abréviation de Trading Import Export. Les relations franco-australiennes étant très réduites, j’ai misé sur des valeurs sûres. Ce qui se vendait déjà il y a 50 ans, c’était les articles de mode, de parfum, les cosmétiques, et bien sûr la gastronomie française.
Vous avez fêté votre 54ème année en Australie, vous n’avez jamais voulu quitter ce « pays d’adoption » ?
Non ! J’aime beaucoup les deux pays, pour des raisons diverses. J’apprécie la place de la culture en France, les musées, mais également les villes, la montagne… Mais j’aime particulièrement les gens en Australie. Les Australiens possèdent des qualités relationnelles remarquables. La qualité de vie ici m’a également convaincu de rester, en particulier après la naissance de mes enfants.
Nous sommes passés par des moments difficiles, et par des moments de grande satisfaction. Les relations entre la France et l’Australie se sont détériorées lors des tirs nucléaires français dans le Pacifique. Mon courrier venant de France n’était plus distribué. Plusieurs vendeuses qui travaillaient pour mon entreprise ont démissionné. Des clientes se rendaient dans nos magasins avec leurs jeunes enfants, nous accusant de les rendre malades.
Aujourd’hui je suis heureux de pouvoir dire que les relations entre la France et l’Australie sont au beau fixe. Il faut noter que cette relation a véritablement débuté lors de la Première Guerre Mondiale. Beaucoup d’Australiens sont morts sur le territoire français. Cela crée des liens.
L’Australie vit sa première récession en 30 ans, comment voyez-vous les prochains mois ?
Je suis plutôt optimiste pour l’Australie. Quand je suis arrivé en 1966, on m’a donné un livre intitulé « The Lucky Country ». Ce n’est pas pour rien que l’on surnomme ce pays ainsi. La population est relativement faible, les richesses sont donc partagées entre peu de gens. Sans le Covid-19, je ne pense pas que l’Australie soit tombée en récession. Cette année, le budget australien prévoyait un surplus, et les relations avec la Chine n’étaient pas compliquées. Cette crise vient tout changer, mais je suis confiant, l’Australie peut surmonter cette épreuve.
C’est un pays agricole, qui pourrait presque vivre en autarcie. La pluie de l’automne fait repartir la culture de la terre, c’est une nouvelle rassurante.
Vous avez été récompensé ce lundi par le gouverneur général, qui vous a nommé Member of the Order of Australia. Une distinction pour vos activités commerciales, mais également pour vos nombreuses actions bénévoles…
C’est quelque chose qui me tient à coeur. Quand on a réussi sa carrière, il est nécessaire d’aider son prochain. Avec ma femme, nous nous sommes beaucoup impliqués pour venir en aide aux malades de cancer. Il y a une trentaine d’années, nous avons créé l’association “Look good, Feel better”, qui vient en aide aux personnes ayant subi les effets secondaires d’une chimiothérapie, notamment la perte des cheveux et des sourcils. Les bénévoles, la plupart des professionnels du soin, donnent de leur temps libre à l’hôpital pour conseiller et aider les patients.
Je suis également investi dans la Société Française de Bienfaisance, plus connue sous le nom French Assist, dont je préside l’antenne de Nouvelle-Galles du Sud. Nous avons traversé des moments difficiles ces derniers mois. Je me réveillais parfois le matin avec 40 messages urgents sur mon répondeur. Nous devions régler des problèmes divers. J’ai rencontré beaucoup de jeunes Français en grande précarité en Australie, dans l’incapacité de rentrer en France, des femmes dans des situations de violence domestique, mais aussi des personnes âgées en difficulté… La situation s’améliore depuis quelques semaines, mais il reste quelques cas urgents que nous devons aider.
Qu’est-ce que cette récompense représente pour vous ?
C’est évidemment un honneur, face auquel je reste humble. C’est le résultat d’un travail, et de plusieurs équipes. Tout seul on ne fait rien. J’ai eu la chance de pouvoir déléguer, ce qui m’a permis de m’investir dans plusieurs projets.
Sur le sceau du gouverneur général qui m’a remis la décoration, on peut voir du mimosa doré, une espèce originaire d’Australie. Cela me rappelle le mimosa d’hiver qui l’on trouve dans le sud de la France, où j’ai passé mon enfance. Le mimosa doré et le mimosa d’hiver fleurissent au même moment, à 16,000 km de distance, l’un en été, l’autre en hiver. J’ai trouvé que c’était un joli clin d’oeil à mes deux pays, la France et l’Australie.
En recevant cette récompense, je rejoins mon épouse, qui a été décorée il y a cinq ans. C’est la distinction d’une équipe, à la fois professionnelle et personnelle.
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