Les femmes réalisatrices sont une espèce rare dans les grands festivals de cinéma, et pour l’Australienne Sue Brooks, en compétition à la Mostra de Venise avec « Looking for Grace », cela n’est pas prêt de changer.
Elle et Laurie Anderson, la veuve de Lou Reed venue avec son film-hommage « Heart of a dog », sont les seules femmes parmi les 21 réalisateurs en lice pour le Lion d’or de Venise cette année.
Et après des décennies à lutter, souvent en vain, pour que ses projets atteignent le grand écran, Sue Brook, 62 ans, ne voit pas ce qui pourrait venir bouleverser ce déséquilibre chronique dans l’industrie du cinéma.
« Pourquoi cela changerait-il ? Je n’ai pas vu le moindre changement depuis 40 ans », explique-t-elle à l’AFP. « Des réalisatrices australiennes ont fait des films extraordinaires, et beaucoup d’entre eux ne sont toujours pas diffusés ».
« Looking for Grace » présente le portrait désabusé d’une famille australienne dont les failles sortent au grand jour lorsque la fille adolescente, Grace, s’enfuie avec une importante somme d’argent liquide que son père gardait dans un coffre.
Situé dans l’ouest australien et construit comme une série d’histoires qui s’entrecroisent, « Looking for Grace » est le premier film de Sue Brooks depuis « Subdivision » en 2009, et seulement le troisième de sa carrière entamée en 2003 avec le multi-primé « Japanese Story ».
Les intervalles ont été occupés par des films qui n’ont jamais vu le jour faute de financement, l’étape où les obstacles sont selon elle les plus grands pour une réalisatrice.
« Dans le monde entier, je pense que les financiers ne lisent pas le travail des femmes avec un esprit assez ouvert, c’est aussi simple que cela », explique-t-elle.
« Pour ce qui concerne l’argent, ce sont des hommes qui prennent les décisions. C’est ce qui les attire qui finit dans les films, et on se retrouve avec beaucoup de choses qui se ressemblent », regrette-t-elle.
– ‘Ta vie va changer’ –
Dans ce contexte, Sue Brooks ne s’attendait pas à passer septembre entre stars hollywoodiennes et auteurs européens à Venise avant de s’envoler présenter son film au festival de Toronto.
Mais un soir, alors qu’elle discutait avec une amie des mérites du gris aubergine dans ses travaux de décoration, un email l’a sommée d’appeler immédiatement son agent commercial.
« Il a dit: +Sue, ta vie va changer. Tu es à Venise. En compétition+ », se souvient-elle.
« L’Australie est vraiment loin quand il s’agit de faire des films culturels. Alors atterrir dans la Mecque de Venise, où il y a une telle histoire du cinéma et un tel respect pour les films (…). Le changement n’est pas que ma carrière a décollé mais dans le fait qu’ici, c’est un moment où notre travail est vraiment pris au sérieux », explique-t-elle.
Dans la cité lacustre, « Looking for Grace » a été essentiellement bien reçu, mais en suscitant une grande variété de réactions de la part des critiques, des louanges extatiques aux rejets accablants.
Pour le critique du Huffington Post, le film « emmène le spectateur dans une série de voyages qui me fait encore dresser les poils sur les bras », mais celui d’Indiewire a regretté « une chronologie hachée et des changements de perspective séduisants ne parvenant pas à cacher que l’intrigue reste un soap australien« .
Tous ont cependant salué la performance d’Odessa Young (Grace), promettant un destin de star à la jeune et jolie Australienne.
Et Sue Brooks a surtout retenu les réactions dans le public.
« C’était chouette (lors de la première) quand le film s’est terminé et que les gens se sont levés pour applaudir. Pendant un moment je me suis dit: +Bien sûr, tu es dans la salle, c’est la tradition+, mais ensuite il y a eu ce moment où je me suis dit: +Ils le pensent vraiment+. »
par Angus MACKINNON – AFP
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