La 26ème édition du Alliance Française French Film Festival ouvre ce mardi 10 Mars à Sydney avec plus d’une quarantaine de films au programme. Le directeur artistique du plus grand festival de films français organisé hors de France, Philippe Platel, partage son avis sur les résultats des Césars et l’actualité du monde du cinéma français.
Quel est votre ressenti après les résultats des Césars 2020 ?
Je n’ai pas d’opinion sur la gouvernance de l’Académie des Césars mais je note presque tous les films et personnalités primés sont programmé au Festival du Film Français… Nous en sommes ravis. Je pense particulièrement à Anaïs Demoustier qui a eu son très mérité César de la Meilleure Actrice pour son rôle dans Alice et le Maire. À Fani Ardant et son César du Meilleur Second Rôle commeMarianne dans La Belle Epoque.Je pense à Roschdy Zem aussi, César du Meilleur Acteur, pour son rôle dans Roubaix une Lumière, également très mérité.
6 Nominations pour le film de J’accuse. Roman Polanski finalement récompensé du César du meilleur réalisateur… Le film a aussi rencontré un grand succès critique en France 2019 ; il porte aussi sur un moment crucial de l’histoire française. Regrettez-vous de ne pas l’avoir programmé ?
C’est le grand absent de cette programmation 2020 mais il s’agit d’un choix délibéré. J’Accuse est un film plein de qualités, un film intéressant mais dont on pourrait dire que « tout lui échappe ». C’est bien plus qu’un film : c’est un débat sur le cinéma, sur la manière avec laquelle l’industrie est amenée aujourd’hui à déterrer ces démons.
Lors de ma première édition du festival il y a trois ans, Rebecca Zlotowski était mon invitée (ainsi qu’Emmanuelle Bercot). J’avais à l’époque mis en avant le nombre important de réalisatrices dans le programme et nous avions beaucoup discuté avec Rebecca de ce sujet et de comment s’assurer qu’il ne s’agisse pas d’un simple argument marketing mais bel et bien d’une action politique. Rebecca est maintenant co-présidente du collectif 50/50 [un groupe militant pour la parité homme-femme dans les métiers du cinéma, ndlr].
Le Festival du Film Français a depuis une coloration d’ouverture et de solidarité, de connexion avec l’actualité et les nouvelles tendances, et veut explorer cette question de l’égalité homme-femme dans le monde du cinéma.
Par ailleurs, le film ne trouvait pas son distributeur – certains étaient intéressés mais se sont retirés des négociations.
Lesquels ?
Il n’y a pas vraiment lieu de parler de leurs hésitations puisque l’achat n’a pas eu lieu, mais il faut noter que ce film n’était pas uniquement entouré d’une polémique, il était également extrêmement cher. Un film cher qui promet des entrées peut être intéressant. Un film cher qui implique un risque de contre-publicité, cela fait beaucoup pour un distributeur…
De même un film artistiquement intéressant sera choisi s’il peut faire parti d’un ‘package’. C’est ce qui nous permet nous au Festival de présenter une variété de films, dont les plus confidentiels et innovants, tout en programmant des films plus accessibles.
Trop de films produits en France – c’est une des conclusions de deux rapports sur l’industrie du cinéma en France datant de 2018 (Ministère de la Culture et Assemblée Nationale). Trop de films français… c’est plutôt une veine pour l’exportation, l’embarras du choix pour vous…
On peut voir lorsque l’on vit à l’étranger à quel point notre industrie est admirée – dans sa productivité comme dans sa diversité. Deux-cent cinquante films par ans, c’est exceptionnel. Il faut s’en féliciter. De plus, les films qui « marchent » en financent d’autres, plus aventuriers. C’est un système sein, qui certes produit beaucoup.
Pour prendre l’exemple de Ladj Ly, qui a même fondé avec d’autres une école de cinéma, Kourtrajemé, Les Misérables. est son premier film. Nominations à Cannes, aux Oscars, récompensé du César du Meilleurs Film… Peu d’industries cinématographiques nationales peuvent se féliciter de faire émerger de tels talents de façon si spectaculaire.
On le ressent peut-être d’avantage à l’étranger : les films de « mauvaise qualité » ne parviennent pas jusqu’ici, on n’en imagine pas l’existence. Peut-être aussi y aurait-il moins de bons films s’il y avait moins de films tout court.
Que pensez-vous d’un système qui permettrait aux spectateurs australiens – et Francophones expatriés en Australie, de choisir ou du moins nominer les films qu’ils voudraient voir en salles au cours du festival, pour démocratiser la sélection ?
Cette expérience a déjà été tentée dans le passé ; le public avait été consulté sur sa préférence pour le film de clôture. Mon successeur et les équipes des Alliances seraient désormais plus à même de répondre sur la reprise future d’une telle opération. Pour ce qui est de la programmation en général, cela deviendrait compliqué d’un point de vue technique et logistique. Faire une sélection ne consiste pas à cocher des cases dans un catalogue. Cela nécessite de longues discussions avec les vendeurs et les distributeurs. Le risque est aussi d’impliquer le public au point qu’il ne chercherait à voir ce qu’il connaît, ce qui élimine de fait les surprises.
Impossible d’esquiver la question des recommandations et classements tout à fait subjectifs… Aux francophones d’Australie (pressés, de passage, qui travaillent en horaires décalés, limités en temps comme en budget) quels sont les films que vous recommanderiez ?
Tout d’abord trois films qui ne sont pas encore sortis en France, que l’on présente donc en exclusivité : La Bonne Épouse de Martin Provost [avec Juliette Binoche], Le Bonheur des Uns de Daniel Cohen [avec Florence Foresti et Vincent Cassel], et Mes jours de Gloire d’Antoine de Bary.
Également La Belle Époque et Les Misérables, tous deux récompensés aux Césars, et le film d’ouverture Hors Normes d’Olivier Nakache et Éric Toledano.
Je pense aussi à Au Nom de la Terre, avec Guillaume Canet, un film triste et difficile. A l’inverse, la comédie Le Prince Oublié avec Omar Sy.
Aux autres, expatriés de longue date, tiraillés entre deux nations et deux cultures ?
La Belle Epoque, un film typiquement français par son humour et ses décors qui touche à cette question de la nostalgie. Il le fait avec un humour noir propre à son réalisateur Nicolas Bedos, dans un scénario alambiqué qui rappelle celui du Truman Show.
Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Éléa Gobbé-Mévellec est aussi un film très riche, un film d’animation qui retrace le destin de deux couples dans le Kaboul des années quatre-vingt-dix, leur quotidien sous le régime des Talibans.
Aux australiens Francophiles en quête d’évasion ?
Roxanne, Edmond : deux films qui parlent de Cyrano de Bergerac. Le premier est une « comédie fermière » ; le public australien apprécie cette image d’une certaine France des campagnes et des villages. Le second représente Paris au temps de la belle époque, un autre classique. Pourquoi pas aussi Nous finirons ensemble, sur le thème des vacances « très françaises » entre amis, au Cap Ferret.
Aux australiens avides d’aller plus loin – quels ‘nouveaux horizons’ cinématographiques pour les initiés ?
Les Misérables encore, Farewell to the Night aussi, pour les spectateurs qui attendent du cinéma des angles d’approche différents sur la France contemporaine.
Je recommande également le thriller de Dominik Moll Seules Les Bêtes et celui d’Arnaud Desplechin, Roubaix Une Lumière.
Enfin Les Sauvages de Rebecca Zlotowski, une série politique très shakespearienne dont on présente les six épisodes en deux films de deux heures quarante.
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Programme complet du festival disponible en ligne à ce lien.
Article modifié le 11/03 pour clarifier les propos relatifs à la visite de Rebecca Zlotowski lors d’une précédente édition du Festival.
Léa Giacomelli
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