Provocaré, le jeune et audacieux festival du quartier de Chapel Street à Melbourne a eu l’idée de commissionner le photographe-plasticien new-yorkais Spencer Tunick pour réaliser une performance (en réalité plusieurs) dans ses ruelles. L’artiste, célèbre pour ses photographies de nus dans des environnements exceptionnels, a donc lancé un appel à modèles. D’après les organisateurs, 12000 personnes se sont vaillamment portées volontaires pour poser : au sein du Courrier Australien, une journaliste a eu la chance d’être acceptée.
En être ou ne pas en être, telle est la question
Tout commence par une affiche placardée partout à Melbourne : des hommes et femmes nus sous un voile blanc sont rassemblés dans le Nevada. Ils annoncent « The return of the Nude », thème choisi pour l’installation du festival Provocaré. « Inscrivez-vous », peut-on lire sur la publicité. Tiens donc, et pourquoi pas ? Mais c’est l’hiver, il fera froid, 10°C si j’ai de la chance. Et si les passants me voient ? Et que diront ma mère ou mes enfants ? En même temps, les performances de Spencer Tunick ont déjà rassemblé jusqu’à 6000 personnes (à Bogota en 2016) la gestion de la logistique est en elle-même une sacrée performance. Au-delà de la photo, l’expérience humaine mérite certainement le détour.
Allez hop, je me lance. Sur le premier formulaire en ligne, j’indique mes coordonnées, mon âge, ma taille, ma couleur de cheveux et de peau. Bien sûr, il est nécessaire d’être majeur. Je reçois un premier message qui me félicite et me demande de reconfirmer… Eh oui, entre le pari de potache et l’engagement sérieux, il y a de quoi écrémer. D’ailleurs, le mail de l’équipe de Spencer est clair : il faut être disponible quatre jours de suite et il sera possible qu’on vous demande de vous couvrir de peinture – si l’idée vous effraie, passez votre chemin. Enfin, le règlement est strict sur le comportement : pas question de toucher vos camarades sans autorisation et interdiction formelle d’emporter votre téléphone portable sur le site. Il n’y a rien à gagner, hormis la fierté d’avoir participé, mais chaque modèle recevra un tirage. Si vous avez la chance de passer le deuxième tour, c’est parti pour une grosse semaine de stress, en attendant le grand déshabillage qui aura lieu dans un endroit tenu secret jusqu’à 48h avant le jour J (aujourd’hui).
Ne vous déshabillez pas, ne vous déshabillez !
Mais c’est bien sûr ! Quand on parle de Prahran ou de Windsor… on pense forcément au street art. Spencer, qui est venu en repérage il y a quelques mois, ne s’y est pas trompé. Il a choisi un espace graphique et coloré qui incarne parfaitement l’esprit de cette banlieue grungy de Melbourne. Le rendez-vous est donné dans un grand espace sécurisé pour l’occasion : le campus de Melbourne Polytechnic. Devant la porte B, une petite queue s’est formée : un membre de l’équipe de Spencer nous invite à aborder nos voisins car nous allons devenir « très intimes » grâce à cette expérience partagée. Les participants forment une foule hétéroclite : il y a là des petits, des grands, des ronds, des maigres, des vieux, des jeunes… Pas terriblement bien sapés cependant, mais rien que de très normal puisqu’il a été conseillé de venir avec de vieux vêtements qui ne craindront pas de repartir tachés.
Dès l’entrée, les équipes remettent à chacun un petit sac pour les effets précieux et un grand en plastique pour les vêtements. Ensuite, distribution de pots de peinture individuels… Ce sera orange pour moi (déception). Je pars m’installer dans une grande salle polyvalente déjà bien bondée. On attendra une petite heure assis par terre, le temps de causer avec ses voisins et disserter sur les nuances : « J’ai du rose, ce sera bien la première fois que je porte cette couleur ! » s’exclame la grande brune à côté de moi. Une autre explique qu’elle a voulu participer « pour sortir de ma zone de confort » — sa fille de dix ans a pleuré à cause de ce projet. Une autre avoue être mère de famille, « pas du tout dans le secteur créatif ». Un membre du staff vient régulièrement avec un mégaphone pour nous faire patienter. Il répète : « Ne vous déshabillez pas, ne vous déshabillez pas ! » Tu parles, certains sont déjà torse nu et on peut notamment admirer un immense tatouage dorsal représentant l’un des monstres de Max et les Maximonstres.
Peints jusqu’aux paupières, cheveux et voutes plantaires…
Finalement, le top départ est donné ! Mon Dieu, il n’y a aucune cabine… nous sommes plusieurs centaines bien serrés à nous mettre nus comme au premier jour et à nous enduire de peinture selon les consignes de Spencer. Tout le corps est recouvert, y compris les paupières, les cheveux et jusqu’à la plante des pieds. Mais que fait cette grande Bleue à passer dans les rangées ? Elle a flingué mon orange ! Dans la salle, le spectacle est incroyable : enduits de bleu, de rouge ou de rose, on ne reconnaît plus personne. On ne voit que les couleurs et des formes aussi variées que splendides. Certains ont réussi à garder leur houppette, d’autres ont raté leur dos, ce Violet a un peu saccagé sa couleur…
Ce n’est pas tout, mais il faut y aller. On enfile un poncho en plastique pour marcher quelques dizaines de mètres jusqu’au parking à ciel ouvert où aura lieu la performance. Les murs qui le cernent sont couverts de Street Art. A ma gauche, j’observe deux lapins géants en train de me fixer. Les participants sont debout, Spencer est installé sur une plateforme en hauteur. Il crie les ordres dans son mégaphone pendant que son équipe les répercute ou replace les participants. Tout le monde debout ! Un bras en l’air ! Les deux bras en l’air ! On s’allonge ! On déambule ! On se tourne ! On se retourne ! On se donne la main ! « Beautiful, beautiful ! » encourage Spencer. Pas si compliqué que ça finalement, sauf qu’il ne faut pas s’effleurer et que le froid finit par faire trembler. Heureusement qu’il ne pleut pas et qu’il n’y a pas trop de soleil. En effet, avec les ombres, impossible de shooter nous a expliqué le photographe. Le ciel doit être couvert ou le soleil rasant.
On se déplace ensuite dans une allée au bout de laquelle on perçoit la voix de passants estomaqués : ils sont passés là au bon moment. D’ailleurs, cela me rappelle qu’un appartement donnait sur le parking. Derrière la vitre, un très jeune enfant nous regardait ébahi. Nul doute qu’il n’aura jamais l’occasion de revoir un tel spectacle.
Clap de fin, on rentre enfin se changer, une jeune Rouge saute de joie. Dans la salle du bâtiment B, beaucoup de selfies et une franche camaraderie. On a apporté des lingettes nettoyantes (comme recommandé) mais beaucoup repartent peints. Bleu, rouge, vert, rose, jaune ! On ressemble à des crayons de couleurs. Pas d’embarras pour autant, on attend comme ça le bus, le tram ou la voiture qui vient nous chercher. A la maison, il est temps de prendre une bonne douche. Cet orange délavé nous fait le teint bronzé : magnifique !
Valentine Sabouraud
Le Festival Provocaré se poursuit jusqu’au 15 juillet. La deuxième installation de Spencer Tunick aura lieu demain sur le parking aérien de Woolworths. Pour suivre son travail, rendez-vous sur son site ici.
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