Sommes-nous en train de devenir une planète francophone ? C’est l’hypothèse surprenante émise par Emmanuel Macron lors de sa récente visite au Burkina-Faso. Il a déclaré que « le français sera la première langue d’Afrique » — ce qui est plausible — avant d’ajouter « et peut-être du monde ». Ah oui ? C’est vrai ?*
Non, ceci est absurde et donc très français. Il est vrai qu’une étude de 2014 (qui se trouve avoir été réalisée par une banque française d’investissement) suggérait en effet que le français pourrait devenir la langue la plus parlée au monde d’ici 2050 — basée sur l’hypothèse d’une croissance démographique énorme en Afrique. Mais compte tenu du fait que le français n’est la première langue que de 75 millions de personnes, la plupart des experts continuent de miser sur l’anglais ou le chinois mandarin. Le véritable message de Macron, peut-être, est simplement que la France est importante — parce que faire la promotion de la langue française a toujours été un moyen détourné d’exagérer l’importance de la France.
« Trahison linguistique »
Equivalent du Commonwealth pour la France post-coloniale, l’Organisation Internationale de la Francophonie, est expressément basée sur la langue. En 1966, Charles de Gaulle a créé une haute commission pour la « défense et l’expansion » de la langue française, remplacée ensuite par une série de comités similaires dédiés à l’usage correct du français en France et à l’étranger. Et bien sûr, il y a l’Académie Française, créée au XVIIème siècle pour protéger le français de l’effet délétère des italianismes, mais qui considère aujourd’hui que le principal ennemi est l’anglais. Elle continue d’émettre des fatwas à l’encontre de mots empruntés à la langue anglaise tels que « email » ou encore « weekend » et elle a qualifié la proposition d’autoriser certaines universités françaises à enseigner en anglais de « trahison linguistique».
Bien évidemment, une partie non négligeable de l’anglais moderne dérive du français après l’invasion normande. C’est peut-être le fondement de la boutade du Premier ministre Georges Clémenceau : « L’anglais est juste du français mal prononcé ». Mais pour les Français, l’anglais est aussi la langue parlée par les anglophones rustres qui sont incapables de s’exprimer dans une autre langue. Comme l’observait Claude Gagnière, « Un homme qui parle trois langues est trilingue. Un homme qui parle deux langues est bilingue. Un homme qui parle une seule langue est anglais. » Il aurait sans doute au moins approuvé les efforts vains de Marc Twain, qui a écrit : « A Paris ils ouvrent de grands yeux et vous fixent lorsque vous essayez de leur parler en français ! Nous n’avons jamais réussi à faire comprendre leur propre langue à ces idiots. »
Vladimir Nabokov et Samuel Beckett
Ce n’est pas que le français est mort ou même mourant sur le plan mondial. Le français est toujours l’une des langues officielles des Nations Unies, de l’OTAN, du Comité Olympique International et de l’Eurovision. Mais ses jours de gloire, lorsqu’il était la langue de la diplomatie internationale, parlée par l’élite mondiale, sont derrière nous. La famille de l’écrivain Vladimir Nabokov parlait français et russe à la maison. Joseph Conrad, qui écrivait dans sa troisième langue, l’anglais, a déclaré qu’il aurait dû choisir le français ; quant à Samuel Beckett, il a opté pour l’écriture en français parce qu’il pensait que c’était une langue plus claire. Il est difficile d’imaginer Jonathan Franzen faire de même aujourd’hui.
Le rêve de Macron d’une planète parlant majoritairement le français ne va certainement pas devenir réalité, mais son invocation est une astuce rhétorique intelligente : elle indique un nouvel esprit bravache en France, idéalement représenté par le président lui-même, ainsi que peut-être l’assertion futée d’un pouvoir français réaffirmé au sein de l’UE alors que l’Allemagne peine à former un gouvernement. Mais le fait que le Royaume Uni quitte l’UE ne favorisera probablement pas le statut de langue officielle du français. Lorsque j’ai visité la Commission européenne récemment, on m’a expliqué avec regret que l’anglais est déjà la lingua franca dans les affaires européennes car c’est la seconde langue de tout le monde. Sans la présence du Royaume Uni dans l’Union, il y aura encore moins de raisons politiques de résister à l’usage de l’anglais.
Cela n’a cependant pas d’importance. Nous admirons les Français — n’est-ce pas ? — précisément pour leur adorable suffisance. Et le français conservera toujours son attrait pour les lettrés et les romantiques. C’est toujours la langue de l’élégance, de l’insouciance, de l’existentialisme. Comme l’a dit Evelyn Waugh : « Nous sommes tous Américains à la puberté. Nous mourons Français. » Si le rêve d‘Emmanuel Macron de voir le français dominer la planète ne se concrétise pas dans ce monde, il le fera dans le prochain.
Steven Poole – Auteur de Rethink : The Surprising History of New Ideas
Traduction : Karine Arguillère
* En français dans l’article original en anglais.
Glossaire :
attrait (n.m.) : allure
boutade (n.f.) : quip
bravache (adj.) : swashbuckling
croissance (n.f.) : increase
délétère (adj.) : noxious
emprunter (v.) : to borrow
francophone (adj.) : French-speaking
futé(e) (adj.) : sly
invasion (n.f.) : conquest
langue maternelle (n.f. + adj.) : mother tongue
miser sur (v.) : to bet on
moyen détourné (n.m. + adj.) : proxy way
récalcitrant (adj.) : obstreperous
suffisance (n.f.) : self-importance
trahison (n.f.) : treason
vain (e) (adj.) : doomed
In ENGLISH:
French the new lingua franca of the world – vraiment?
Are we turning into a French-speaking planet? That was the surprising possibility raised by president Emmanuel Macron on a recent visit to Burkina Faso. “French will be the first language of Africa,” he said, plausibly, before adding, “perhaps the world.” Ah, oui? C’est vrai?
No, this is preposterous, and therefore very French. It’s true that a 2014 study (by, coincidentally, a French investment bank) did indeed suggest that French could be the most spoken language of the world by 2050 – assuming enormous population increases in Africa. But, given that French is currently the first language of only 75 million people, most observers still bet on English or Mandarin Chinese. Macron’s real message, perhaps, was simply that France is important – because talking up the French language has always been a proxy way of talking up the importance of France itself.
« Linguisitic treason »
France’s postcolonial equivalent of the Commonwealth, the Organisation Internationale de la Francophonie (international organisation of the French-speaking), is explicitly a language-based club. In 1966, Charles de Gaulle set up a high commission for the “defence and expansion” of the French language, subsequently replaced by a series of similar committees focusing on “correct” French in France and overseas. And, of course, there is the Académie Française, created in the 17th century to protect French from the noxious influence of Italianisms, but which today sees global English as the great enemy. It continues to issue fatwas against English loan-words such as “email” and “weekend”, and called the proposal to allow some university courses to be taught in English “linguistic treason”.
Of course, a fair amount of modern English itself derives from post-conquest Norman French. This was perhaps the reasoning behind Prime Minister Georges Clemenceau’s quip that “English is just badly pronounced French”. But for French people, the English language is also typified by the boorish native Anglophone who cannot converse in any other tongue. As the French writer on language Claude Gagnière observed: “A man who speaks three languages is trilingual. A man who speaks two languages is bilingual. A man who speaks one language is English.” He would perhaps have approved, at least, of the doomed efforts made by Mark Twain, who wrote: “In Paris they simply opened their eyes and stared when we spoke to them in French! We never did succeed in making those idiots understand their own language.”
Vladimir Nabokov et Samuel Beckett
It’s not that French is dead or even dying on the global stage. French is still one of the official languages of the UN, Nato, the International Olympic Committee and Eurovision. But the days of its global pomp, when it was the language of international diplomacy and spoken by much of the global elite, are long gone. The family of the writer Vladimir Nabokov spoke French as well as Russian at home. Joseph Conrad, who wrote novels in his third language, English, once said he ought to have chosen French instead, while Samuel Beckett switched to writing in French because he thought it a clearer instrument. It is difficult to imagine Jonathan Franzen doing the same thing today.
Macron’s dream of a mainly French-speaking planet almost certainly won’t come to pass, but its invocation is a clever rhetorical gambit: it implies a new swashbuckling spirit in France, conveniently represented by the president himself, as well as perhaps a sly assertion of increased French strength within the EU as Germany struggles to form a government.But the departure of Britain from the EU will probably fail to help the status of French as an official language. When I visited the European commission recently, it was explained to me with regret that English is already the lingua franca in EU business because it is everyone’s second language. Indeed, without the presence of the UK in the union, there will be less of a political reason to resist it.
No matter, though. We admire the French– do we not? – precisely for their lovable self-importance. And French will always retain its allure to literary and romantic types. It is still the language of elan, of insouciance, of existentialism. As Evelyn Waugh said: “We are all American at puberty. We die French.” Perhaps if Macron’s dream of the global primacy of the French language doesn’t succeed in this world, it will in the next.
Steven Poole – Author of Rethink: The Surprising History of New Ideas
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