Les gardiens officiels de la langue française ont mis fin à des siècles de domination linguistique masculine jeudi (28 février) en autorisant la féminisation des noms de métiers.
La notoirement conservatrice Académie française, qui régit la langue et a longtemps résisté au changement, a déclaré que désormais il n’y “aucun obstacle de principe” à la féminisation des noms de métiers et de professions.
Les femmes françaises qui pratiquent la médecine pourront bientôt être appelées “docteures” et celles qui enseignent seront “professeures” dans son dictionnaire qui définit, encore aujourd’hui, “présidente” comme étant la femme du chef de l’état, plutôt que la femme à la tête de l’état.
Malgré plus d’un demi-siècle de féminisme, la langue française de la vie active est restée résolument masculine. La plupart des titres professionnels sont automatiquement masculins, à quelques exceptions notables comme infirmière et sage-femme.
L’Académie, à domination masculine, s’était auparavant férocement opposée au changement, qualifiant les tentatives de recours à l’écriture inclusive dans les textes officiels d’“aberration” mettant le français “en péril mortel”. Et elle avait trouvé un allié puissant en la personne du Premier ministre Edouard Philippe, écrivain à ses heures, réprimant les demandes d’un français plus ouvert au féminin. Il a souligné, l’année dernière, que le masculin était une forme neutre qui devait être utilisée pour des termes susceptibles de concerner les femmes.
Mais dans une volte-face historique jeudi, l’Académie, dominée par les hommes et dont les membres les plus âgés portent un uniforme décoré et une épée, ont approuvé un rapport pro-changement, dont le contenu a été compilé par trois de ses quatre membres actifs féminins*.
L’une d’elles, l’écrivaine Dominique Bona, a rappelé avec insistance que le masculin “choisi comme genre dominant” en français n’était pas accident.
– Le genre dominant –
On attendait des Immortels, comme on les appelle, qu’ils débattent une semaine au moins sur cette question délicate, mais à la place, ils l’ont approuvée à une large majorité en quelques heures.
“L’Académie considère que toutes les évolutions visant à faire reconnaître dans la langue la place aujourd’hui reconnue aux femmes dans la société peuvent être envisagées” a-t-elle déclaré.
Elle a aussi ouvert la voie aux pratiques d’usage, indiquant qu’elle ne souhaitait pas “dicter les règles selon lesquelles les titres devraient être féminisés” – ce qui serait “une tâche insurmontable”. Elle a ajouté que le débat sur l’utilisation de “eure” comme dans “docteure” par exemple “ne constitue pas une menace contre la structure de la langue, du moment que le “e” final n’est pas prononcé.”
L’écrivain et membre de l’Académie, Frédéric Vitoux qui préside la Commission pour l’enrichissement de la langue française a déclaré qu’avant la décision, il était persuadé que la réforme passerait. “Pour certaines professions, c’est facile, dit-il, nous n’avons jamais eu à nous demander s’il était possible de dire “actrice”. Mais pour d’autres, il y a des difficultés objectives parce que cela crée de la confusion ou ne fonctionne pas avec la racine du mot.”
“Comment, par exemple, appeler un médecin femme sans que cela ne rende confus le mot médecine (qui désigne la science correspondante) ?” s’interroge Vitoux.
Cependant, les pays francophones voisins tels la Belgique ou la Suisse ont depuis longtemps trouvé des solutions aux problèmes. L’institution qui régit la langue française au Canada a ainsi réglé le problème en 1979 en poussant la féminisation partout où cela était possible. Là-bas, une femme docteur, peut indifféremment être appelée “une médecin” ou “une docteure”.
– Implicitement sexiste –
Bien que les Français aient féminisé les professions de façon informelle depuis des années : la fin de ce long blocage officiel a été possible alors que, dans le même temps, des tentatives d’insérer un genre neutre via “l’écriture inclusive” dans les documents officiels a déclenché un débat passionné.
A ce jour, un groupe de lecteurs mixte, par exemple, sera toujours masculin à partir du moment où un homme est dedans. Des militants de l’écriture inclusive – qui pensent que la langue est implicitement sexiste – disent que dans ce cas-là, le mot “lecteurs” devraient s’écrire “lecteur.rice.s”
Mais insérer des points médians dans les mots a horrifié les puristes et a été jugé compliqué et confus par d’autres.
En 2015, le Haut Conseil pour l’Egalité entre les femmes et les hommes a pressé les institutions d’utiliser les formes féminines pour les métiers comme pompier ou auteur, si applicable.
Des opposants, comme le philosophe Raphael Enthoven, rejettent cette approche normative d’une langue parlée par 275 millions de personnes dans le monde. Ils disent que l’usage devrait être autorisé à la faire évoluer naturellement dans le temps.
En plus de dire ce qui est permis ou interdit en français, l’Académie rédige le dictionnaire officiel de la France. Cependant, sa capacité à remplir cette tâche a été remise en question, certains critiques soulignant que, parmi ses 36 membres, pas un seul n’est linguiste.
* Les auteurs du rapport sont Gabriel de Broglie, Danièle Sallenave, Michael Edwards et Dominique Bona – donc, deux femmes sont signataires finalement.
Glossaire :
Aberration (n.f.) : aberration
Débattre (v.) : to discuss
Désigner (v.) : here, to name
Féminisation (n.f.) : feminization
Gardien (n.m.) : guardian
Horrifier (v.) : to horrify
Epée (n.f.) : a sword
Indifféremment (adv.) : indifferently
Malgré (prep.) : despite
Menace (n.f.) : threat
Neutre (adj.) : neutral
Normatif (adj.) : normative
Notable (adj.) : notable
Notoirement (adv.) : notoriously
Ouvrir la voie (exp.) : to pave the way
Opposant (n.m.) : opponent
Point médian (n.m.) : middle full stop
Péril (n.m.) : peril
Pro- (préfixe) : in favor a
Racine (n.f.) : root
Régir (v.) : to rule
Résolument (adv.) : decidedly
Sage-femme (n.f.) : midwife
Souligner (v.) : to emphasize
Susceptible de (adj.) : likely to
Tâche (n.f.) : task
Vote-face (n.f.) : about-turn
IN ENGLISH PLEASE
French embraces its feminine to end male linguistic dominance
The official guardians of the French language ended centuries of male linguistic dominance Thursday by allowing feminine words for all professions.
The notoriously conservative Academie Francaise, which polices the language and has long resisted change, said there was now “no obstacle in principle” to the wholesale feminisation of job titles.
French women doctors could soon be referred to as “docteures” and teachers as “professeures” in its official dictionary, which currently lists “presidente” as the wife of a head of state rather than a female leader of a country.
Despite more than half a century of feminism, the language of French working life has remained resolutely male.
Most jobs titles are automatically masculine, apart from a few notable exceptions such as nurse and child-minder.
The male-dominated Academie had previously fiercely opposed change, branding attempts at “inclusive writing” in government documents as an “aberration” that put French “in mortal danger”.
And it found a powerful ally in Prime Minister Edouard Philippe, a sometime novelist who has called for a clampdown on bids to make French more female-friendly.
He insisted last year that the “masculine (form) is a neutral form which should be used for terms liable to apply to women”.
But in a historic about-turn Thursday the male-dominated Academie, whose mostly elderly members wear an ornate uniform and sword, approved a report advocating change compiled by three of its four active female members.
One, novelist Dominique Bona, had pointedly complained that it was no accident that the masculine was “chosen as the dominant gender” in French.
– ‘The dominant gender’ –
The “Immortals”, as they are known, had been expected to cogitate for at least a week on the vexed issue but instead waved the report through by “a large majority” in a matter of hours.
“The Academie considers that all developments in the language aimed at recognising the place women have in society today can be envisaged,” it declared.
It also opened the door to a more organic usage by saying that it “did not wish to dictate the rules by which titles should be feminised”, saying it would be an “insurmountable task”.
It said the debate about the use of the -eure ending in docteure, for example, “does not constitute a threat to the structure of the language as long as the final ‘e’ was not pronounced”.
Writer and academy member Frederic Vitoux, who heads the Commission for the Enrichment of the French Language, said before the decision that he believed the reform would pass.
“For some professions it is simple,” he said. “We have never had to asked ourselves should we be able to say ‘actress’. But for others professions there are objective difficulties, because they cause confusion or don’t work with the root of the word.
“How, for example, can we say a female doctor (medecin in French) without confusing it with ‘medecine’ (the science of medicine)?” Vitoux asked.
However, French speakers in neighbouring Belgium and Switzerland have long ago found ways around the problems.
The official language body in French-speaking Canada ruled on the issue in 1979, urging feminisation wherever possible. A female doctor there can be called “une medecin” or “une docteure”.
– ‘Implicitly sexist’ –
Although French people have feminised professions informally for years, the end of the long official block comes as attempts to bring gender-neutral “inclusive writing” to state documents has sparked impassioned debate.
As it stands, a mixed-gender group of readers, for example, will always be masculine as long as there is one man in the room.
Campaigners for “inclusive writing” — who believe the language is implicitly sexist — say in these situations the French word for readers, “lecteurs”, should be written as “lecteur.rice.s”.
But inserting full stops into words has horrified the purists and been sent up by others as complicated and confusing.
In 2015, France’s High Council for Equality Between Women and Men issued a guide urging public bodies to use feminine forms for jobs like “firefighter” and “author” where applicable.
Some critics such as philosopher Raphael Enthoven object to what they see as France’s prescriptive approach to the language, which is spoken by some 275 million people worldwide.
They say usage should be allowed to evolve naturally over time.
As well as pronouncing on what is and is not permissible French, the Academie Francaise compiles the country’s official dictionary.
However, its ability to perform the task has been called into question, with critics pointing out that its membership of 36 does not include a single linguist.
AFP
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