Cet article est publié en exclusivité par Le Courrier Australien et l’Alliance française de Melbourne.
Les habitants de St Kilda connaissent bien cette grande bâtisse où se pressent de nombreux élèves de français. Construite un peu en contre-bas sur Grey Street, elle dénote à côté des immeubles des années 60 et des auberges pour backpackers qui la bordent. A l’occasion de Open House Melbourne, elle propose aux curieux une visite passionnante animée par Philip Anderson, professeur de littérature, et John Taylor, architecte. Pour nous, le duo de guides livrent en avant-première les petits secrets de ce lieu historique.
Ce n’est pas un officier qui a fait construire la maison d’origine
« En réalité, explique Philip Anderson, c’est un simple sergent britannique, Edward Bernard Green, prototype du self-made man, qui acquiert quatre parcelles de terrain contiguës à St Kilda et qui y fait construire une maison dans les années 1850-1851. » L’homme a prospéré en tirant partie du principe de Terra Nullius* qui s’applique alors en Australie. Il s’accapare des terres au-delà de Murray River, puis s’installe à Melbourne dans les années 1840. Il profite d’un contrat qui lui cède l’exclusivité de la diffusion du courrier entre Yass et Melbourne. La maison, de style géorgien, portera le nom de jeune fille de sa femme « Barham ». A l’époque, la ville est entourée de bush et de marécages. La vue est dégagée jusqu’à la mer.
Souffrant, Green se résout à rentrer en Angleterre. Sa maison est alors louée à un voisin. « Le type en question s’appelle William Nicholson, et il devient… premier ministre du Victoria. » Une anecdote racontée par Philip Anderson et qui illustre bien l’attrait de la ville. Il faut dire qu’à cette époque, Melbourne n’a pas d’égout et qu’on la surnomme « Smellbourne ». St Kilda, bientôt reliée par la voie ferrée, devient progressivement l’endroit chic où habiter et surtout… respirer. En 1869, Barham House est vendue et son nouveau propriétaire va la modifier considérablement : il s’appelle John Lang Currie.
Deux maisons finissent pas coexister l’une dans l’autre
M. Currie vient probablement d’une famille plus riche que celle de Green. En outre, il a fait fortune dans l’élevage de moutons, travaillant la laine mérinos et s’intéressant de près au côté technique de son métier. « Son opulence, raconte Philip Anderson, lui permet de transformer le bâtiment géorgien en maison victorienne, grâce au concours d’architectes connus Reed & Barnes. » La maison d’origine est conservée, mais on lui ajoute deux ailes, au nord et au sud. Pour palier à la différence de hauteur entre les parties récentes et ancienne, une corniche égalisante est posée sur le haut de bâtiment. La façade est retravaillée avec des détails d’inspiration grecque et romaine. A l’intérieur, les volumes sont généreux et une salle de bal est créée. Les cheminées en marbre, moulures et baies vitrées ajoutent à l’impression grandiose. En 1877, le bâtiment est rebaptisé Eildon Mansion.
Currie décède peu de temps après la rénovation de sa maison. Sa veuve s’y installe avec le voisin qu’elle épouse. La demeure finit par passer de main en main, suivant les soubresauts de l’histoire en cours. « La première guerre mondiale rend plus difficile l’emploi de personnel et le coût d’entretien de cette maison familiale s’alourdit », explique Philip Anderson. Finalement, Eildon Mansion devient une pension pour gentlemen – « avec un billard » précise l’architecte John Taylor qui pointe l’existence de piliers de consolidation dans le soubassement du bâtiment – puis hôtel pour backpackers.
En 2006, l’ancien directeur de l’Alliance Française, Edouard Mornaud découvre par hasard que le bâtiment est à vendre en promenant son chien. « Dans un délai incroyable de deux semaines, le conseil d’administration décide d’acheter, réunit les fonds et participe aux enchères », raconte Philip Anderson. S’ensuivent six mois de travaux pour enlever les cloisons et remettre la demeure dans son état d’origine. John Taylor a été l’architecte de cette rénovation : « Nous avons eu de la chance que l’ancien propriétaire ne touche pas au moulures par exemple, il nous a simplifié la tâche. » Eildon Mansion retrouve ses volumes et sa beauté d’antan : « Nous avons simplement ajouté la climatisation, aménagé les salles de classe et suivi toutes les consignes de sécurité comme les rampes ou l’escalier de secours. » Eildon Mansion a aussi planté une clôture végétale dans son jardin et garde dans son sous-sol les vestiges historiques de son glorieux passé. La cuisine « dans son jus » est ainsi devenue une… salle de concert pour les soirées jazz. La chambre forte est toujours là.
« Rester à St Kilda était important », conclut John Taylor qui rappelle que Berthe Mouchette, la fondatrice de l’Alliance Française de Melbourne (la quatrième de son genre au monde), vivait dans cette banlieue. « Entretenir ce patrimoine et l’ouvrir au grand public, voilà une belle façon de faire perdurer l’histoire. » Dimanche 30 juillet, on vous y attend nombreux.
Photo en tête de l’article : Eildon Mansion à l’époque de M. Currie, vue depuis le jardin.
Version anglaise de l’article là.
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Open House le dimanche 30 juillet au 51 Grey Street, St Kilda VIC 3182
> Visites guidées (en anglais) à 11h, 12h, 13h, 14h (ou libres avec dépliant).
> Crêpes et café pour les petits creux.
> Vente de livres en français d’occasion.
> Animation pour les enfants.
> Informations ici.
* La terre n’appartenant à personne quiconque peut s’y installer. Principe aboli en 1992 par un jugement connu sous le nom de « Mabo decision ».
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