Les Parisiens connaissent bien le concept de cet établissement insolite, fondé en 2004 par Edouard de Broglie rue Quinquampoix. On y dîne dans l’obscurité la plus complète, aveugle à ses voisins, aux serveurs, à ce qui décore les murs et, surtout, à ce qui est proposé dans l’assiette. Depuis le 19 janvier, les Melburnians ont la chance de pouvoir tenter l’expérience à leur tour dans le restaurant Dans le Noir de South Yarra, le premier du genre en Australie. Le Courrier Australien a choisi de s’y inviter…
Faudra-t-il manger avec les doigts et comment fera-t-on pour aller aux toilettes ? Les questions qui viennent sont tout d’abord d’ordre pratique. Eh oui, pas facile de s’imaginer sans la moindre lumière. Heureusement, dès l’arrivée, on vous propose de vous laver les mains, histoire qu’elles soient impeccables si vous deviez vous en servir. Ni une, ni deux, tout le monde en profite ! On laisse aussi ses affaires au vestiaire, sa montre ou son portable – moins pour la sécurité que pour éviter toute source de lumière dans la salle principale.
Un lourd rideau sombre
La réservation a été faite en amont pour une heure fixe. Le menu, toujours surprise, est concocté par le chef du Como en personne. Il se décline en fonction des préférences : omnivore, végétarien, ou végan. Les gros mangeurs iront peut-être jusqu’à cinq plats, les autres se « contenteront » de trois. Les vins sont choisis pour s’accorder aux mets. Les allergies sont (re-re-)vérifiées. On a hâte de s’attabler, mais il faut attendre le top départ de l’équipe, car on dîne en groupe sur une table partagée, avec un serveur mal ou non-voyant qui sera vos yeux toute la soirée. L’entrée de la salle est dissimulée derrière un lourd rideau sombre. Mais que se cache-t-il derrière ?
Le voisin recevra son lot de coups de coude
A la queue-leu-leu : voilà l’astuce pour se diriger de la façon la plus sûre vers la table. Grâce à cette technique imparable où chaque invité tient l’autre par l’épaule, on arrive à sa place. L’œil aura alors beau chercher, rien ne viendra capter le regard. Tout est absolument noir et ce sont tous vos autres sens qui seront appelés à la rescousse pour aider. La nappe se fait lisse sous vos doigts ; les voix habitent l’espace mais il est bien difficile de les localiser ; les odeurs mettent en appétit mais l’identification reste aléatoire… Inutile de préciser que le voisin recevra son lot de coups de coude. En revanche, votre air désespéré à votre cinquième bouchée vide restera bien caché dans l’opacité.
Soirée-devinettes
Au final, qu’a-t-on mangé ? Cette viande ou ce poisson, cette sauce, ces herbes, ce croustillant, ce pétillant, cette amertume ou au contraire cette douceur… tout cela évoque quelque chose, mais quoi ? Dîner dans le noir se mue alors en soirée-devinettes et c’est à qui aura le palais le plus virtuose ou le nez le plus fin. A la fin du repas, on se redécouvre dans la lumière (tiens, votre voisin est ce beau brun ?) et on confronte ses idées avec la réalité puisqu’on vous dévoile gentiment le menu servi, agrémenté de photos. Surprise, déception, hilarité… On a envie de fanfaronner parce qu’on a trouvé ce qu’on a mangé ou l’on se sent idiot devant cette erreur – mais oui c’était donc ça !
On sort heureux avec l’envie de tout dire aux amis, mais sans rien dévoiler. Ça tombe bien, le menu change régulièrement pour conserver la surprise intacte. La prochaine fois, on emmène deux amis célibataires pour une blind date dans le noir. Le principe est déjà développé en France, nul doute qu’il rencontrera ici le même succès.
Valentine Sabouraud
Un concept pour garder les yeux ouverts sur l’essentiel !« Edouard de Broglie n’est pas déficient visuel lui-même, mais il a eu envie que les consommateurs se concentrent sur le contenu de leur assiette plutôt que le contenant. Il pensait qu’il pourrait faire vivre une expérience sensorielle différente, dans le noir. » explique Chanael Lenoir, Business Development Manager. Le fondateur s’est alors naturellement tourné vers ceux qui pourraient le mieux servir ce programme, à savoir les personnes aveugles ou malvoyantes. A Melbourne, Dans le noir a été très bien accueilli par les associations locales, dont Vision Australia. Le restaurant emploie huit « serveurs-guides » à temps partiel dont certains ne travaillaient pas depuis des années. « L’idée est de leur mettre le pied à l’étrier », précise Aurore Lépy, Project Manager. Ils apprennent les ficelles du service, mais aussi à communiquer, partager, animer. En effet, même s’ils ne sont pas strictement attablés, ils font presque partie de la tablée. Certains ont ensuite monté leur propre affaire comme un spa dans le noir, par exemple. Mais la plupart sont si heureux de leur place qu’ils n’en changent pas. « Plusieurs d’entre eux sont chez nous à Paris, depuis nos débuts » sourit Chanael. Une fidélité qui fait aussi sa fierté. |
Restaurant Dans le noir, au sein de l’hôtel COMO 630 Chapel St, South Yarra VIC 3141
Ouvert le soir du jeudi au dimanche. Réservations ici. Menu du chef à 95 $.
Légendes photo : 1/ File de clients (C) Dans le noir 2/Aurore et Chanael 3/ L’équipe de Melbourne
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